Comment jouer aux Echecs - Conduite d'une partie

Lorsqu'un débutant sait manœuvrer les pièces sur l'échiquier et a bien assimilé les règles fondamentales du jeu d'échecs, il n'en est pas, pour autant, capable de mener convenablement à son terme une partie quelconque. Le jeu d'échecs est en effet un jeu de calculs complexes, et, au cours des âges, un certain nombre de principes ont été développés par les grands maîtres de ce jeu (à retrouver dans la bibliographie), principes qui ne peuvent être ignorés d'aucun joueur.

Les trois phases d'une partie d'échecs

Il est traditionnel de diviser une partie en trois phases : le début, le milieu et la fin de partie. Examinons rapidement comment se présentent ces trois phases.

Les débuts de partie

Avant le premier coup d'une partie, les chances des deux joueurs sont rigoureusement égales. Les Blancs comme les Noirs possèdent le même nombre de pions, le même nombre de figures, qui sont pareillement disposées de part et d'autre de l'échiquier. Le fait que les Blancs aient, selon l'usage, le trait, leur donne un léger avantage : ce sont eux qui prennent l'initiative de ce combat symbolique qu'est une partie d'échecs.

Echiquier

Notons, dès à présent, que les Blancs, pour leur premier coup, ont le choix entre vingt coups possibles : ils peuvent avancer chacun de leurs pions d'une case ou de deux cases, ce qui fait seize coups, et ils peuvent mouvoir leurs deux Cavaliers, initialement placés en b1 et g1, en les faisant sauter par-dessus la rangée de Pions, et en les plaçant en a3 ou c3 pour b1, en f3 ou h3 pour g1. A chacun de ces vingt coups possibles, les Noirs ont un certain nombre de réponses possibles, qu'il serait fastidieux d'énumérer ici. A chacune de ces réponses, les Blancs ont un plus grand nombre de possibilités encore de choix pour leur deuxième coup, et ainsi de suite. Leur nombre augmente très rapidement à chaque coup, de sorte que le nombre total de combinaisons possibles dans les quatre premiers coups seulement est de l'ordre de 319 milliards. Quant aux combinaisons possibles pour les dix premiers coups, il est nettement supérieur à 1030, c'est-à-dire à un nombre qui s'écrirait en faisant suivre le chiffre 1 de 30 zéros. On voit donc, d'emblée, qu'il est impossible à une intelligence humaine de prévoir la totalité des combinaisons possibles.

Comment donc s'y retrouver, et comment savoir qu'une manière de jouer est supérieure à une autre ? L'expérience tend à prouver que le joueur qui parvient à occuper ou à contrôler le centre de l'échiquier, (c'est-à-dire les cases e4. e5, d4 et d5) au début de la partie (c'est-à-dire au cours des dix ou quinze premiers coups) est dans une situation particulièrement avantageuse, et, s'il ne fait pas d'erreurs graves, possède toutes les chances de gagner la partie.

Voilà pourquoi le but de tout début de partie doit être l'occupation du centre. Il est bien évident que cette occupation ne va pas se faire aisément.

Centre

Si les Blancs avancent vers les cases du centre des pions ou des pièces, les Noirs, qui connaissent les dangers, vont essayer de les empêcher d'y accéder. Au cours des échanges que représentent les dix ou quinze premiers coups, il va donc y avoir, de part et d'autre, des attaques et des contre-attaques.

Chess

Si les Blancs avancent une pièce trop près du centre, les Noirs vont en avancer une destinée à défendre les cases de ce centre, de telle sorte que si les Blancs mettent leur Cavalier, ou leur Fou ou un Pion sur l'une des cases du centre, ils puissent prendre cette pièce. Inversement, les Blancs, en essayant de prendre le centre s'efforceront de protéger les pièces du jeu qu'ils envoient à l'attaque de cette position éminemment stratégique. Ils devront donc organiser leur jeu de telle sorte que le développement de leurs pièces s'accompagne d'une défense de ces pièces et ils devront prévoir des replis possibles. En outre, et cela est vrai aussi bien pour les Blancs que pour les Noirs, au cours d'un début de partie, les deux camps devront faire en sorte que les pièces puissantes, comme la Dame, ne soient pas menacées par les premiers combats. Ils auront à veiller aussi à mettre le Roi à l'abri d'une contre-attaque éclair, qui risque de se terminer par un mat rapide, aussi spectaculaire qu'inattendu.

Ainsi donc, le sort de la partie est engagé dès les premiers coups. Les grands joueurs d'échecs ont analysé les principaux débuts de partie, et les ont classés selon quelques principes à la fois quantitatifs (c'est-à-dire relatifs à la nature des pièces développées) et qualitatifs (c'est-à-dire aux relations qui existent entre ces pièces et aux positions atteintes). Comme on joue aux échecs depuis plusieurs siècles, on a eu l'occasion d'essayer des quantités d'ouvertures. Certaines se sont révélées brillantes, jusqu'au jour où un champion découvrait la parade qui transformait cette ouverture brillante en un désastre. D'autres ont fait leurs preuves, et sont amplement analysées et expliquées dans les traités d'échecs. A l'heure actuelle, on compte des centaines d'ouvertures solides, qui conduisent, après dix ou quinze coups, parfois un peu plus, à des positions satisfaisantes pour les Blancs ou pour les Noirs.

Une question vient sans doute, très naturellement, à nos esprits « N'existe-t-il pas un début de partie qui soit supérieur à tous les autres, et qui assure d'une manière imparable, l'avantage décisif aux Blancs (l'avantage décisif, c'est-à-dire l'occupation du centre, sans trop de dommages) ? ». A cette question, on doit répondre négativement. En effet, si certains débuts de partie sont efficaces et redoutables, il n'en est aucun auquel on ne puisse opposer une défense valable, c'est-à-dire conduisant soit à un renversement de situation, et donnant l'avantage aux Noirs, soit aboutissant à une partie nulle.

Retenons donc, rapidement, trois caractères fondamentaux relatifs aux débuts de partie :

1 - Les débuts de partie ont pour but l'occupation ou le contrôle du centre.

2 - C'est au cours des débuts de partie qu'a lieu le développement des figures, c'est-à-dire la mise en place des pièces plus ou moins puissantes qui vont mener l'attaque contre le camp adverse. Les Pions, par contre, sont gardés généralement en réserve : leur valeur, assez minime au début de la partie, ne doit pas faire perdre de vue qu'en fin de partie ils représentent des dangers considérables pour l'adversaire, du fait de la promotion des Pions.

3 - À la fin d'un début de partie, les Rois ont en général roqué. Le roque a un double effet : il met le Roi à l'abri des attaques adverses, en le protégeant derrière un rideau de Pions, et, d'autre part, il permet l'avancée des Tours vers les colonnes centrales sur lesquelles elles peuvent devenir très menaçantes.

Le milieu de partie

La situation a changé au milieu de partie. Au cours du début de partie, un certain nombre de pièces ont été échangées, et l'échiquier est maintenant moins garni. Les pièces puissantes, à longue portée, comme les Tours ou la Dame, peuvent se déplacer et constituent des menaces considérables. Le combat bat son plein.

C'est surtout à ce stade que les joueurs doivent faire preuve d'un sens tactique et d'un sens stratégique particulier.

Les fins de partie ou finales

Si les débuts de partie n'ont pas conduit à une nullité (comme cela se produit, fréquemment, dans de grands tournois), si le sort de la partie ne s'est pas décidé au cours du milieu de partie, c'est-à-dire au plus fort du combat, la décision va se jouer au cours des fins de partie, qui sont particulièrement difficiles à bien jouer.

N'oublions pas que le but recherché, par chacun des deux camps, est d'obtenir le mat du Roi adverse. Au cours du milieu de partie, le danger de mat est grand : les pièces sont nombreuses, les mouvements du Roi sur l'échiquier sont limités, le Roi peut même, dans certains cas, être « étouffé » par ses propres troupes, et prêter le flanc à ce qu'on appelle le « mat étouffé ». Si tous les pièges qui ont été tendus de part et d'autre ont échoué, et si les joueurs ont convenablement attaqué et défendu, la fin de partie se présente comme une sorte de combat au « finish », pour employer une expression appartenant au vocabulaire sportif. Par contre, il peut se trouver que la fin d'une partie ne soit qu'une formalité. C'est le cas, lorsque supériorité matérielle d'un des joueurs est considérable.

Il y a donc lieu de distinguer deux sortes de fins de partie :

1 - Les finales simples sont le résultat d'un combat dans lequel la position matérielle de l'un des camps est prépondérante. Le cas le plus net est celui où l'un des joueurs possède en plus de son Roi, une ou deux pièces, ou encore un Pion susceptible d'aller à Dame, tandis que son adversaire n'a plus qu'un Roi dépouillé. Ces finales simples se terminent des « mats techniques ».

2 - Mais il peut se trouver aussi qu'en fin de partie les forces soient à peu près égales des deux côtés. Les Blancs et les Noirs possèdent les mêmes pièces, ou du moins des pièces équivalentes, le même nombre de Pions capables d'aller à Darne, etc. Dans ce cas, la fin de partie ne se réduit pas à une simple estocade, comme dans le cas précédent, mais elle exige la mise en œuvre d'une stratégie extrêmement difficile.

Il peut sembler paradoxal qu'il soit plus difficile de mener une fin de partie, avec un petit nombre de pièces et un petit nombre de pions, qu'un milieu de partie, où l'échiquier est plus encombré. Cela tient au fait que le renversement de situation, s'il est possible, même après une gaffe, en milieu de partie, est rarement réalisable en fin de partie. A ce stade, en effet, chaque coup compte. Et le joueur qui manœuvre mal ses pions ou ses figures, et qui, par conséquent, perd un temps, est rapidement placé dans une situation délicate. De plus, même si l'un des deux joueurs est matériellement supérieur à un autre, il y a toujours le risque du pat, qui surprend les joueurs les plus brillants.

Ajoutons enfin, que l'attention des deux adversaires n'est peut-être pas aussi aiguë à la fin de la partie qu'au début, car il peut intervenir certaines conditions psychiques. Dès lors, c'est souvent l'adversaire le plus « frais » qui triomphe, malgré les inconvénients de sa situation ou ses faiblesses matérielles. Il en est de même quand nous perdons nos paris sportifs, où l'on voit un grand champion, indiscutablement supérieur à son adversaire par son habitude de la compétition, par sa technique, par ses moyens, se trouver vaincu, parce que celui-ci a mieux dormi, ou se trouve dans un meilleur état de fraîcheur physique à la fin de la rencontre.

Existe-t-il une manière idéale de jouer aux échecs ?

Quand on examine les comptes rendus des grands tournois d'échecs, tournois qui opposent périodiquement les meilleurs joueurs du monde, on est parfois déçu par leur monotonie. Le vainqueur se contente, très souvent, de gagner une ou deux parties de plus que son adversaire, et de faire parties nulles le reste du temps. Ces parties nulles, décidées la plupart du temps d'un commun accord, après trente ou cinquante coups, ont lieu lorsque les deux camps sont dans des situations presque toujours identiques. On peut donc penser qu'un joueur qui connaîtrait parfaitement tous les débuts de partie importants, toutes les combinaisons fondamentales, c'est-à-dire celles que l'on trouve le plus couramment dans les grandes rencontres d'échecs, serait à même de vaincre tous les adversaires qui lui seraient opposés. En outre, on pourrait même envisager l'avenir des échecs sous un jour plus sombre encore et supposer que le calcul permettrait un jour de découvrir la solution universelle, donnant irrévocablement le gain de la partie, quelle que soit la position, aux joueurs qui appliqueraient cette solution. Si une telle solution devait être trouvée, il n'y aurait plus d'intérêt à jouer aux échecs, et il faudrait trouver un autre jeu pour distraire les humains friands de jeux de calculs.

Si nous posons le problème en termes de théorie des jeux, nous serions amenés à dire ceci : les échecs sont un jeu où les deux adversaires ont tous les renseignements en main. Conformément à la théorie des jeux, il existe donc une façon d'y jouer, c'est-à-dire une stratégie pure, qui est au moins aussi bonne que toutes les stratégies mixtes possibles. Théoriquement, par conséquent, le jeu d'échecs pourrait très bien ne plus avoir aucun intérêt. Cependant, pratiquement, il est impossible de décrire cette stratégie pure idéale, ni même de dire si elle peut conduire à la victoire ou à la défaite des Blancs ou des Noirs. Il est impossible d'énumérer toutes les stratégies possibles, ni même d'en évaluer le nombre. C'est pourquoi toutes les méthodes, aussi perfectionnées soient-elles, qu'énoncent les traités d'échecs ne fournissent que des stratégies mixtes : nul ne pourra jamais découvrir la stratégie pure qui signifierait la fin du jeu.

La suite avec la stratégie et la tactique.