Tactique et stratégie aux Echecs

La conduite d'une partie d'échecs fait intervenir deux formes de combat : la stratégie et la tactique.

La stratégie, aux échecs, est l'art d'organiser un plan de combat pour parvenir à certains objectifs, l'objectif final, nous le rappelons, étant le mat du Roi adverse. La conception d'une stratégie est donc le résultat d'un travail de réflexion de caractère abstrait. Le but à atteindre est, généralement, une certaine position d'ensemble, position dont la réalisation constitue une étape vers le succès final.

Nous allons voir ci-après quels sont les caractères stratégiques d'une position.

La tactique peut se définir comme l'ensemble des moyens utilisés pour mettre en œuvre une stratégie, c'est-à-dire un plan général de combat. Le combat tactique fait intervenir un certain nombre de combinaisons, c'est-à-dire de coups qui tiennent compte de la position respective des pièces et des réponses éventuelles de l'adversaire. Ces combinaisons permettent, lorsqu'elles sont convenablement exécutées, et lorsque l'adversaire n'a pu s'y opposer, à l'obtention d'une position fixée comme un but par la stratégie.

Nous verrons, en étudiant les milieux de partie, quelles sont les combinaisons fondamentales que l'on utilise dans le jeu d'échecs.

Analyse d'une position

On considère, en général, que l'ouverture est terminée, lorsque les principales pièces ont été mobilisées, généralement vers le centre de l'échiquier, et lorsque le roque a été accompli, d'un côté ou de l'autre. A ce stade de la partie, l'échiquier présente une position déterminée et chaque joueur doit élaborer une stratégie, c'est-à-dire prévoir une modification de cette position qui aboutira à une position, en principe, plus favorable.

Comment va-t-on analyser et apprécier une position ?

1 - Rapport matériel des forces

Le premier facteur à examiner est le rapport matériel des forces. A un certain stade du jeu, les Blancs possèdent un certain nombre de pions et un certain nombre de figures. Les Noirs, de leur côté, possèdent un certain nombre de pions et un certain nombre de figures. Et, en raison des échanges qui ont eu lieu au cours de l'ouverture, le nombre de pièces qu'il y a de chaque côté n'est pas nécessairement égal. S'il y a égalité matérielle stricte, la détermination de la stratégie sera conditionnée par l'examen des autres facteurs de la position. S'il y a inégalité matérielle, c'est-à-dire plus de pièces d'un côté que de l'autre, la réflexion des deux adversaires va être différente :

• le joueur qui se trouve en position favorable doit se donner comme but, évidemment, d'augmenter son avantage c'est-à-dire de procéder à tous les échanges nécessaires pour aboutir, rapidement, à une fin de partie, contre un Roi dépouillé, par exemple, ou bien avec une position matérielle nettement avantageuse

• par contre, le joueur qui se trouve en position d'infériorité du point de vue matériel, doit déjouer la stratégie de son adversaire, il doit essayer, par des moyens tactiques différents, de tendre des pièges à celui-ci, de compliquer le combat, éventuellement de le neutraliser dans les différentes régions de l'échiquier, afin de rendre possible un renversement de situation. Signalons que, lorsque l'inégalité matérielle est trop forte, le renversement de situation en question est bien hasardeux, surtout en face d'un adversaire compétent. Cela explique que de nombreuses parties d'échecs ne sont pas menées jusqu'au bout, dans les tournois par exemple, lorsque l'un des joueurs est dans une position matérielle par trop défavorable.

2 - Mobilité des pièces

Une pièce n'a pas la même valeur, la même efficacité, selon qu'elle est étouffée par d'autres pièces, ou selon qu'elle est libre d'agir plus ou moins à sa guise sur l'échiquier. Par conséquent, l'examen matériel d'une position ne suffit pas. Il faut encore tenir compte de la qualité stratégique de la position. L’image ci-dessous illustre cette remarque.

Forces égales

Les forces sont égales, quantitativement, mais non point qualitativement : les Noirs ont un avantage de mobilité.

Dans cette position, un simple décompte montre que les deux camps sont à égalité matérielle : il y a, de part et d'autre, à côté du Roi, une Dame, un Fou, deux Tours et sept Pions. Cependant, les Noirs ont l'avantage de la mobilité. En effet, considérons la Tour noire placée en a8. Si nous la déplaçons sur sa ligne, jusqu'en c8, cette Tour menace toute la colonne c, dans laquelle se trouve, notamment, un Pion blanc qui n'est défendu par aucune pièce. Cette Tour exerce donc, sur la colonne c, une pression indiscutable. Par contre, la Tour blanche située en f1 est beaucoup moins mobile : la colonne sur laquelle elle se trouve n'est pas aussi libre que la colonne c (elle est obstruée par le Pion blanc f4, et, même si ce Pion n'existait pas, la position ne serait guère favorable car le Pion noir f7, bien défendu, ne risque rien). De même, le Fou noir est beaucoup plus dangereux que le Fou blanc. Il est en effet situé sur la grande diagonale de l'échiquier, et il peut menacer, à longue ou à brève échéance, la Tour située en a1, alors que le Fou blanc est réduit à un rôle défensif (tant que le Fou blanc est en c1, le Pion b2 ne risque rien). Ainsi donc, la position est favorable aux Noirs, car, s'il y a une égalité quantitative de forces, il n'y a pas une égalité qualitative, le terrain contrôlé par les Noirs est plus important, et c'est à eux que revient l'initiative de la partie. D'ailleurs, la suite de la partie confirme cet avantage de position. Cet exemple, en effet, est tiré d'une partie jouée au tournoi de Baden-Baden en 1925, entre le Britannique Tomas et le grand champion Alekhine (Alekhine jouant avec les Noirs). Le diagramme donne la position après le dix-septième coup, et la partie fut gagnée par Alekhine par abandon, après le cinquante-troisième coup. Notons, au passage, que, si la position était favorable, il a fallu quand même trente-six coups, c'est-à-dire un développement tactique délicat, pour permettre à Alekhine d'obtenir la victoire.

3 - Le facteur temps

Toute combinaison est conditionnée par le degré de vitesse d'exécution. Une pièce qui peut atteindre une case en un coup est dans une situation supérieure à celle qu'elle aurait s'il lui fallait deux ou trois coups pour l'atteindre. Par conséquent, dans une position donnée, lorsque le joueur qui a l'initiative de l'attaque aura déterminé la région de l'échiquier sur laquelle il va porter ses coups, il devra faire en sorte de contrôler cette région le plus rapidement possible. Inversement, le joueur qui se défend aura intérêt à retarder l'engagement des hostilités, soit par des manœuvres de diversion, soit par des manœuvres de protection. L’image, que nous avons rapidement examiné précédemment, est, ici encore, l'occasion d'un exemple intéressant. C'est aux Blancs de jouer. Que vont-ils faire ? Il est évident que, d'après ce que nous avons déjà dit, la colonne sur laquelle portera l'attaque des Noirs sera vraisemblablement la colonne c. Il faut donc faire en sorte que les attaques des Noirs sur cette colonne rencontrent le plus d'obstacles possibles. Pour cela, les Blancs doivent jouer c2-c4. Ce faisant, ils vont pouvoir mieux se défendre contre l'arrivée de la Tour en c8. En effet, après c2-c4, que peuvent faire les Noirs? Ils doivent « liquider » ce Pion blanc, le plus rapidement possible, afin de libérer la colonne c. Par conséquent, au coup c2-c4, les Noirs répondront par une prise en passant du Pion blanc : d4 X c3. Au coup suivant, bien entendu, les Blancs vont reprendre le Pion c3 par b2 X c3, et c'est alors, et alors seulement, que la Tour noire viendra en c8. Résumons donc cette série de coups, sans oublier que la position de l’image était la position après le dix-septième coup :

• dix-huitième coup : c2-c4 d4 X c3
• dix-neuvième coup : b2 X c3 Ta8-c8

Après ces deux coups, la position est celle indiquée ci-dessous :

Echange de Pions

Il y a eu un échange de Pions : les Noirs ont pris, au dix-huitième coup, le Pion blanc qui était situé en c2, et les Blancs ont pris le Pion noir qui avait pris le Pion blanc.

Il est intéressant de comparer la position des deux images. Dans la première, l'objet de l'attaque de la Tour noire était, en principe, le Pion blanc situé en c2. Ce Pion présentait une faiblesse capitale : il n'était défendu par aucune pièce. Malheureusement pour les Noirs, ils n'ont pu entreprendre cette attaque, puisque la tactique des Blancs a consisté, précisément, à déplacer le Pion c2 jusqu'en c4, de sorte que, lorsque la Tour noire put être mobilisée, et placée en c8, elle n'a plus comme objectif que le Pion c3. Or, ce Pion est plus facile à défendre, car les Blancs peuvent, au vingtième coup, déplacer leur Fou de c1 en b2 : dès lors, si la Tour noire venait prendre le Pion blanc, elle serait prise, à son tour, par le Fou blanc, et l'échange serait trop désavantageux, pour les Noirs. Cette rapide analyse nous fait comprendre l'importance du facteur temps : si les Blancs avaient retardé d'un coup l'avance c2-c4, la Tour noire aurait eu le temps d'arriver en c8, et de menacer dangereusement le camp des Blancs. Remarquons aussi que la Tour noire, bien que son attaque soit moins puissante après cette défense astucieuse des Blancs, n'en renonce pas moins à sa pression sur la colonne c, qui sera, finalement, bénéfique.

4 - Facteur tactique d'une position

L'examen d'une position doit aussi tenir compte des avantages ou des désavantages que représentent les combinaisons possibles, qui sont, comme on le sait, des éléments tactiques : clouage d'une pièce, rendue inoffensive par le fait qu'on ne peut pas la déplacer sans mettre en jeu l'existence d'une pièce plus importante, possibilité d'un échec à la découverte, fourchette, etc. Ces éléments tactiques peuvent être autant de plus-values pour l'un des deux camps (à condition que le joueur sache les exploiter).

5 - Examen stratégique

Ici, il faut analyser tout particulièrement le terrain de combat, et les possibilités de mobilisation des pièces. Une ligne ouverte, c'est-à-dire une ligne sur laquelle une pièce peut se déplacer librement, est évidemment un avantage stratégique de premier plan. La disposition des Pions sur l'échiquier, disposition qu'on appelle la structure de Pion, est ici un élément capital. Si les Pions, en début de partie, n'ont qu'un rôle mineur, en fin de partie leur intervention est décisive : en effet, les Pions servent à protéger les pièces, mais ils peuvent aussi, par leur promotion, devenir des figures qui transforment l'équilibre des forces en présence. Un Pion isolé, ou trop loin du lieu du combat, est un « mauvais Pion», deux Pions voisins à la même hauteur peuvent mieux se défendre mutuellement. Par contre, un Pion doublé, c'est-à-dire deux Pions sur une même colonne, constituent une faiblesse, etc.

Conclusion

On voit donc que, pour mener à son terme une partie d'échecs, il faut faire intervenir des considérations multiples. Il faut savoir analyser une position, mais il faut aussi savoir utiliser cette position, découvrir les stratagèmes et les combinaisons tactiques qui permettront de passer d'une position favorable à une position plus favorable encore, ou bien qui permettront de transformer une position défavorable en une position favorable, il faut prévoir les coups de l'adversaire, et la réponse à ces coups. Bref, il faut faire preuve, tout à la fois, de réflexion, de sens critique, d'imagination créatrice, de mémoire, d'attention, etc. Les échecs sont, par excellence, un jeu de calculs.